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Pourquoi il ne faut pas lire Pétros Markaris

par Jacques Moulins
Epilogue meurtrier (Le Seuil), publié en France en 2015, et en Grèce en 2014. DR
Epilogue meurtrier (Le Seuil), publié en France en 2015, et en Grèce en 2014. DR
Livre Roman Publié le 16/12/2015
Pétros Markaris a écrit "Épilogue meurtrier" une quatrième partie à sa trilogie policière sur la crise que vit la Grèce. Trop, c’est trop. Qui s’intéresse encore à la crise de la Grèce (à part nous bien sûr) ?

Quelques questions à ceux qui auraient l’intention de se plonger dans Épilogue meurtrier, la quatrième enquête du commissaire Charitos dans la crise grecque.

Qui voudrait lire un polar plutôt que des ouvrages d’économie sérieusement documentés sur la crise grecque ? On ne peut pas sérieusement s’intéresser à la vie de quelques Athéniens quand de sérieuses prises de position inspirées de doctes ouvrages savent nous produire des courbes on ne peut plus séduisantes. Ce commissaire nous fait perdre du temps avec sa fille avocate des causes perdues (ici celles des immigrés africains), les beaux-parents de celles-ci forcés de vendre leur boutique pour payer les nouveaux impôts sans pouvoir augmenter leurs prix dans un pays appauvri, son épouse qui ne sait que faire des proverbes (époustouflants au demeurant) et de la cuisine à vous mettre inutilement l’eau à la bouche avec trois fois rien. Et pourquoi faire de la poésie (« Athènes la nuit est vide comme notre poche ». « Si dans la journée on voit la lassitude d’Athènes, la nuit on voit son deuil. ») ?

Qui va se compliquer les méninges avec des situations où le bon ne se distingue plus du méchant ? Monsieur Markaris a le don de rendre en nuances une situation où les Grecs sont affamés, mais tout de même un peu responsables (« Il ne s’habituait pas aux rythmes grecs, aux fonctionnaires grecs et au système des enveloppes, et il s’enfonçait chaque jour dans le désespoir. »). Même dans les immigrés ne sont pas tout blancs.

Qui a envie de se marrer en parlant de la Grèce ? L’auteur se croit intelligent à faire de l’humour, à garder l’espoir, à trouver des personnages qui rient de leur malheur (« On vous dit avec enthousiasme : " Viens, tu auras tout à tes pieds. " Mais quand vous venez, vos pieds collectionnent les crocs-en-jambe. »).

Qui veut se taper une remontée dans l'histoire du pays ? En quatre romans, Pétros Markaris va fouiller dans la Guerre civile qui ravagea et appauvrit le pays dans les années 50, puis dans l'épisode de l'occupation de l'école polytechnique par des étudiants en lutte contre le régime des colonels (dont certains s'approprièrent ensuite les rênes de l'État). Certes c'est intelligent, bien pensé et facilement accessible au commun des mortels, mais on lit un polar !

Qui veut encore entendre parler de cette extrême-droite nationaliste et xénophobe (mot grec s’il en est) ? L’Aube dorée avec ses nervis est le personnage négatif de ce roman. On nous montre comment le mouvement extrémiste a réussi à infiltrer la police et à convaincre une partie de la population que l’étranger est le responsable de tous les malheurs. Un parti qui n’a plus besoin de trouver d’autre argument que le racisme pour faire des voix. Et moderne en plus (« Nous sommes revenus à l’État parallèle. Il est même plus méchant que le précédent (parce qu'il) se construit sur Internet et qu’il est hors de contrôle. »)

Qui peut s’en prendre à nos systèmes démocratiques (encore du grec), même si c’est vrai, en Grèce ils exagèrent ? Encore une histoire de corruption qui gangrène tout le pays et s’érige en système accepté par tous parce que chacun croit qu’il touche un peu. Erreur bien sûr, couvert par une fonction d’État peu reluisante (« En Grèce d’habitude, ceux qui réussissent dans la fonction publique se situent quelque part entre l’imbécile et le médiocre. »)

Pourquoi gaspiller un tel talent de dialoguiste à un polar ? Le roman policier a pour décor la vie quotidienne et l’auteur y rajoute des dialogues exceptionnels. Petros Markaris, qui fut le scénariste du très talentueux et très regretté Angelopoulos, un des réalisateurs contemporains de cinéma les plus créatifs, s’abandonne maintenant aux attraits du roman policier, roman populaire, facile à lire, qui nous fait imaginer la vie comme elle est vécue et les systèmes dans leur corruption extrême. De quoi se désespérer, sauf que Markaris a le don de donner à ces horreurs les couleurs vives et enchantées de l’humanité. Un vrai gâchis, non ?

 

Bio : Pétros Markaris est un Grec d’Istanbul où il est né en 1937, c’est-à-dire après l’échange de population entre la Grèce et la Turquie. Son père est d’origine arménienne. Il fait ses études à l’école autrichienne, ce qui fait de lui un citoyen de cette Europe qui se nie. Son cosmopolitisme est à la hauteur de son ouverture d’esprit. Scénariste de Théo Angelopoulos (notamment de L’Éternité et un jour qui obtiendra la Palme d’Or à Cannes en 1998), il est aussi traducteur de Gœthe, de Brecht et de Wedekind. Son écriture populaire fait merveille dans les enquêtes du commissaire Charitos. Particulièrement dans L’Empoisonneuse d’Istanbul et dans la trilogie sur la crise grecque composée de Liquidations à la grecque, Le justicier d’Athènes, Pain, éducation et liberté. Son dernier ouvrage Épilogue meurtrier (Éditions du Seuil) a été publié en Grèce en 2014. Il est suivi d’une brève et efficace analyse réalisée par son traducteur Michel Volkovitch.

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