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Mot de passe oublié ?Printemps des Comédiens : Sublime mouette
Le théâtre nous a offert et nous offre diverses adaptations de La Mouette, pièce magistrale de Tchekhov. Avec Cyril Teste, on la redécouvre, et surtout on la sent singulièrement proche. La traduction qu’Olivier Cadiot en a fait pour le metteur en scène n’y est pas étrangère, il confiait à France Culture : « Elle est adaptée par et pour Cyril Teste, qui y a ajouté des extraits d'Une histoire banale, une nouvelle de Tchekhov. C'est donc un montage, ce n'est pas La Mouette, c'est une Mouette ».
Dès les premiers instants d’obscurité dans la salle, le bruit des pas sur le gravier, le paysage sombre du lac, font pénétrer dans l’intime de la maison de campagne familiale où va se jouer une partition dramatique. D’ambition théâtrale et d’amours contrariés (« Cinq tonnes d’amour », écrivait Tchekhov), il est tout de suite question entre le tendre Constantin et la jeune Nina d’une part, qui se rêve comédienne, et d’autre part sa mère Irina, qui vit avec les autres du haut de sa grandeur d’actrice adulée.
Un théâtre filmique réussi. Les voix ne déclament pas, elles parlent, chuchotent parfois, ou hurlent, la caméra suit les comédiens, les regarde dans les yeux, les frôle, projetant visages, mains et gestes sur écran géant, transperce les tensions. Ce dispositif de théâtre filmique, que Cyril Teste et son collectif MxM ont donné déjà avec Nobody puis Festen, prend cette fois complètement possession de la scène. Délaissant la superposition, l’écran s’installe à même le plateau, créant une cloison animée derrière laquelle se joue une partie de la pièce. Un jeu d’écrans, dramatisé par le déplacement de panneaux, qui multiplie les points de vue et assure une réelle distanciation. Ce dispositif sert l’ouverture de la pièce de Tchekhov pour qui « L’artiste ne doit pas être juge de ses personnages et de ce qu’ils disent, mais seulement un témoin impartial ». Paysages, visages, gestes en gros plan alternent avec le jeu des comédiens sur scène, derrière la scène, voire ailleurs. Tout semble donc possible pour dire La Mouette. Les effets vidéos se jouent du temps et de l’espace.
L’ambition esthétique du metteur en scène exige des comédiens qu’ils jouent à la fois pour le public et pour la caméra. Les techniciens caméramens circulent parmi les acteurs, qui parfois s’emparent de l’objectif pour le retourner contre l’autre dans une introspection forcée du désir amoureux. La distribution répond parfaitement à l’enjeu. Qu’il s’agisse de Mathias Labelle, très touchant en Constantin, d’Olivia Corsini, dont la palette d’émotions ne contrarie pas un grand pouvoir de séduction, de Nina, surprenante jeune fille, si contemporaine, interprétée par Liza Lapert, et de Katia Ferreira, triste Macha.
Cette pièce est une grande réussite, saluée par les longues ovations du public de théâtre Jean-Claude Carrière. La haute technicité employée est toujours au service de l’émotion. La première au théâtre d’Annecy a été annulée en raison de la pandémie. Elle a lieu au Domaine d’O de Montpellier, là où Cyril Teste avait déjà créé Nobody en 2015, pièce qui marquait l’entrée de la performance filmique au théâtre.
La Mouette de Tchékov, création de Cyril Teste pour le Printemps des Comédiens, dans une traduction d'Olivier Cadiot. Scénographie de Valérie Grall, musique de Nihil Bordures, création vidéo de Mehdi Toutain-Lopez. Avec Vincent Berger, Olivia Cordisi, Katia Ferreira, Mathias Labelle, Liza Lapert, Xavier Maly, Pierre Timaitre et Gérald Weingand. Au Théâtre Jean-Claude Carrière, Domaine d'O, du 10 au 13 juin.
