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Raphaële Frier, « il faut tout lire, tout ce qui fait vibrer »

par Pierre Magnetto
Raphaële Frier a commencé à publier en 2009.© Mira/Naja
Raphaële Frier a commencé à publier en 2009.© Mira/Naja
Le livre des z'idées, Raphaële Frier et Solenn Larnicel, ed Rue du monde
Le livre des z'idées, Raphaële Frier et Solenn Larnicel, ed Rue du monde
Do la honte, Raphaële Frier, ed Rue du monde
Do la honte, Raphaële Frier, ed Rue du monde
Malala, Raphaële Frier et Aurelia Fronty, ed Rue du monde
Malala, Raphaële Frier et Aurelia Fronty, ed Rue du monde
Livre Littérature de jeunesse Publié le 03/11/2016
Née en 1970, professeure des écoles, Raphaële Frier enseigne en éducation prioritaire dans une école élémentaire des quartiers Nord de Marseille. Auteure de romans et d’albums de littérature jeunesse, son premier livre a été publié en 2009. Ces dernières parutions : Malala, un album sur la vie de Malala Yousafzai, militante des droits des femmes et jeune prix Nobel de la paix en 2014, Le livre des z’idées, un recueil illustré de toutes les expressions ou presque formées avec le mot idée et Do la honte, le récit de la vie quotidienne d’un collégien vivant dans un quartier difficile de Marseille.

Comment êtes-vous devenue écrivaine de livres jeunesse ?

En fait, aussi loin que je me souvienne j’ai toujours écrit. Quand j’étais gosse, j’écrivais des poèmes, des billets, des petites histoires. À l’adolescence, je me suis fait offrir une machine à écrire et je n’arrêtais plus, je me projetais beaucoup dans l’écriture. En fait, je me rends compte qu’écrire a toujours été un besoin pour moi. Enfant j’avais rencontré le livre jeunesse bien sûr, mais par la suite j’étais passée à autre chose. Plus tard, devenue enseignante, puis maman, je l’ai de nouveau rencontré, j’ai lu beaucoup d’histoires et je suis vraiment retombée dedans bien que devenue adulte. Et puis, je me suis rendu compte que ce que j’écrivais s’adressait de plus en plus aux enfants. Un jour j’ai eu envie d’envoyer mes textes aux éditeurs. C’est mon entourage qui m’a poussé, les textes dormaient dans des tiroirs, et j’ai eu des réponses positives.

 

Qu’est-ce qui vous inspire ?

En fait c’est un processus mystérieux. Je ne cherche pas les sujets, ce sont eux qui s’imposent à moi. Bien entendu, ça vient forcément en écho de choses vécues, entendues, ressenties. J’ai besoin de les ressortir. Quand j’écris, c’est pour moi comme une chasse au trésor, une façon de m’arrêter un peu pour me poser des questions et trouver des réponses. Le plus souvent c’est donc les sujets qui s’imposent à moi, des personnes que j’ai rencontré à qui j’ai envie de redonner vie dans un livre. Mais il m’arrive aussi de travailler à partir de commandes. C’est différent.

 

Vous avez publié chez l'éditeur Rue du monde un album illustré par Zaü, Rosa et Martin qui relate l’histoire de Rosa Marks et de Marthin Luther-King. Était-ce une commande ?

Oui, c’était une commande, mais en fait ce n’en était pas tout à fait une non plus. J’avais envoyé un texte à Alain Serres (fondateur des éditions Rue du monde – NDLR). Ce texte parlait de l’épisode du bus qu’a vécu Rosa Parks à Montgomerry, et je voulais faire un lien entre Rosa Parks et Martin Luther King. Je voulais que dans mon récit elle lui passe symboliquement le relai, ce qui permettait de réunir ces deux grands personnages dans un même livre. De son côté, Alain Serres était en train de réfléchir à un album sur Martin Luther King, du coup il m’a confié ce travail. J’ai complètement réécrit autre chose, travaillé sur le découpage du texte, mais c’est comme ça que ça s’est passé.

 

Travaillez-vous de la même manière selon que vous écrivez un album ou un roman ?

Ce n’est pas le même travail. Un roman c’est un travail d’endurance, il faut tenir la longueur. C’est un travail d’écriture qui m’accompagne pendant plusieurs mois si ce n’est plusieurs années, même s’il s’agit de romans courts. Quand j’écris un roman, c’est comme s’il y avait une musique de fond qui me trottait toujours dans la tête. L’album, au contraire, est une façon pour moi de reprendre de la respiration, de faire aboutir des projets plus rapidement, ça me redonne de l’énergie. Ce n’est pas le même travail, mais pour moi c’est la même recherche. Quand je suis sur une page d’album, au fond de moi, je cherche les mêmes sensations, les sentiments, les émotions. Dans la semaine, quand je n’en peux plus d’écrire mon roman, je peux travailler sur des textes plus courts par épisodes.

 

Quand vous écrivez un album, comment se déroule votre collaboration avec les illustrateurs ?

C’est très variable. Pour Martin et Rosa j’ai voulu rencontrer Zaü dans son atelier, connaître la personne qui allait travailler sur mon texte. Mais il n’a pas eu besoin de cette rencontre pour faire ses illustrations, ni moi pour écrire mon texte. Pour Malala, ça s’est passé un peu de la même façon avec Aurélia Fronty, elle a travaillé à partir de mon texte. Pour autant, il y a toujours un moment où l’auteur est sollicité parce qu’il y a tout le travail de mise en page et qu’en fonction des illustrations il faut parfois redistribuer le texte.

J’ai aussi écrit d’autres bouquins sur lesquels j’ai travaillé beaucoup plus en lien avec l’illustrateur, comme pour Le livre des idées, illustré par Solenn Larnicel. Nous nous sommes connues sur un salon et, entre deux séances de dédicaces, nous avons commencé à élaborer un projet commun. Nous avons beaucoup échangé, par téléphone, par mail, c’était une vraie partie de ping-pong, un truc à deux.

 

Vous enseignez dans une école en éducation prioritaire dans les quartiers Nord de Marseille, est-ce que le fait d’être enseignante influence votre écriture ?

C’est moins d’être enseignante qui influence mon écriture qu’être en permanence en contact avec les enfants. Je leur donne beaucoup, par le biais de la pédagogie, mais en retour je reçois énormément d’eux et ce que je reçois c’est autre chose. Ce qui m’intéresse c’est comment ils vivent, comment ils communiquent, quelles histoires ils s’inventent, comment ils jouent, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Souvent je me demande où ils trouvent la force d'affronter les difficultés qui sont les leurs. C'est compliqué de vivre dans certains quartiers. Il y a, pour beaucoup de ces enfants, de gros soucis liés au manque d'espace, d'argent, de salubrité. Mes élèves, pour moi, ce sont des héros, des personnages, ils ont beaucoup de mérite, ils ont beaucoup de fantaisie, et ça en fait des personnages. C’est sûr que ça m’inspire.

 

Justement, vous venez de publier Do la honte, qui raconte la vie d’un enfant dans ces quartiers difficiles. Est-ce la réalité qui vous a inspirée là aussi ?

Il y a quelques années, j'ai rencontré un tout petit garçon incroyable, dans une école maternelle. À l'époque, il n'avait que quatre ans. Un rayon de soleil. Il ne pleurait quasiment jamais, il souriait toute la journée, s'appliquait mieux que tous les autres, porté par une grande soif d'apprendre et d'avancer. Il parlait très bien, ne ratait jamais l'école, toujours propre et impeccablement habillé. Il était impossible d'imaginer une seconde qu'il était le frère d'un autre élève de l'école, de deux ans son aîné, dont le retard scolaire était évident, et qui ne parlait presque pas. L'aîné portait des vêtements souvent sales et ne tenait pas en place. Leur maman, très gentille, était largement dépassée. Elle se présentait parfois en chancelant ou s'endormait sur une chaise au fond d'une classe après avoir déposé ses enfants. Le papa faisait son possible pour s'occuper correctement des enfants, mais la charge était lourde et manifestement, les questions de propreté ne faisaient pas partie de ses priorités. Toujours est-il que dans cette famille, le plus petit, toujours impeccable, se distinguait par son incroyable maturité et sa capacité à s'adapter à un milieu très éloigné du sien et à intégrer, on ne sait comment, les codes de l'école. Pour écrire mon histoire, j'ai imaginé cet enfant quelques années plus tard, à l'âge d'entrer au collège.

 

Que souhaitez-vous que les jeunes lecteurs retiennent de vos romans ?

Je souhaite que le livre ne leur tombe pas des mains, qu’ils prennent du plaisir à découvrir un autre monde. C’est ça la lecture, sortir de son quotidien, de ce qu’on est soi-même, pour se mettre dans la peau d’un personnage, vivre d’autres expériences. Je souhaite que ça leur procure des émotions fortes, toutes les émotions. Je n’ai pas peur de faire pleurer, pas peur de faire rire. Je sais qu’en littérature jeunesse il y a parfois des craintes que les histoires soient trop dures pour les enfants. On ne veut pas de drame pour les enfants et parfois ça met une pression éditoriale. Ce n’est pas ce qui m’intéresse. Je crois qu'il est important de ne pas fermer les yeux sur la réalité sous prétexte qu'elle est difficile. Faudrait-il hésiter à faire lire Oliver Twist à un enfant ? Ado, j'ai adoré les lectures de Zola, j'ai dévoré J'm’appelle Tigre de Frankcina Glass, ou Poil de carotte, Vipère au poing... La seule chose qui comptait, c'était la force du récit qui empêchait que le livre me tombe des mains. Il faut tout lire je crois, enfin, tout ce qui fait vibrer. Quand j’écris, je veux qu’il y ait des émotions, même s’il y a du drame, mais il faut aussi qu’il y ait beaucoup d’espoir parce que la littérature il faut que ça fasse du bien.

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