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Mot de passe oublié ?Il est des désastres dont on ressort plus fort. C’est ce qui semble être arrivé à la maison de Pierre Loti que les nombreux signes d’affaissement avaient contraint à la fermeture. Les travaux entrepris pour restaurer cet ensemble de plusieurs maisons auront permis de lui rendre son aspect de 1923, année de la mort de son concepteur qui avait de l'imagination mais pas les compétences d'un maître d'œuvre. La rénovation aura réveillé des savoir-faire d’Europe, d’Asie, d’Orient, d’Afrique du Nord, auxquels une myriade de maîtres artisans de l’Hexagone se sont adaptés. La Ville de Rochefort, propriétaire de la maison musée, a bénéficié des talents et de la passion d’un conservateur Claude Stefani et d’une architecte Elsa Ricaud qui ont dû faire eux-mêmes un grand voyage dans le temps, et prendre les bonnes décisions pour rester dans le budget déjà hors norme.
Une passion d'enfance. C’est que la maison de Pierre Loti ne ressemble à aucune autre. À l’origine, l’une des maisons était la maison de la famille Viaud, l’autre fut celle où naquit en 1850 Julien, qui deviendra l’écrivain Pierre Loti. Dès l’enfance, il manifeste une passion pour les objets exotiques et leur accumulation, il en fait à la fois son petit musée et le décor de sa première pièce de théâtre donnée devant le public familial. Ainsi débute son goût pour la décoration. Plus tard, les nombreux voyages de l’officier de marine le menèrent vers des architectures et des modes de vie qui le fascinèrent. Au point de faire expédier un plafond syrien du XVIIIe siècle qui allait devenir la pièce maîtresse de la mosquée dans la maison charentaise. Mosquée donc, puis salle gothique, salle renaissance, chambre chinoise, pagode japonaise, salon turc, chambre arabe, il s’agissait pour Loti de recréer son émerveillement des paysages visités, d’éloigner aussi sa grande angoisse de la mort en retenant le temps passé et les émotions ressenties. Une façon aussi de marquer son fort attachement à Rochefort, la ville de son enfance.
Au gré de ses voyages, la maison fut agrandie, transformée, devenant l’écrin de grands bals, et le théâtre de fêtes costumées. Celui qui affirmait : « j’ai pour règle de conduite de faire toujours ce qui me plaît » fit peu de cas des règles de l’art de la construction. Sa fantaisie donna un magnifique résultat, mais l’entretien de la maison obligea la famille à vendre meubles et objets. Ainsi disparurent complètement la chambre chinoise et la maison espagnole qui surplombait l’une des habitations. Vendue par son fils Samuel à la Ville de Rochefort en 1969, la maison est devenue musée municipal en 1973. Aujourd’hui elle est classée monument historique et Maison des Illustres.
Un élan collectif. Tout s’est déclenché avec le loto du patrimoine, mission confiée à Stéphane Bern. Il a permis de récolter de quoi soutenir et restaurer le plafond de la mosquée qui, après les destructions liées à la guerre en Syrie, est devenu l’un des rares ouvrages de ce type encore visibles. La visite du président Macron a permis « de mobiliser l’ensemble des partenaires » souligne Caroline Campodarve, première adjointe de la ville, en charge des affaires culturelles. Le soutien du ministère de la Culture à travers la DRAC fut suivi de celui, à titre exceptionnel, des collectivités territoriales, département de Charente-Maritime et région Nouvelle Aquitaine, de la Fondation du Patrimoine et du mécénat d’entreprises et de particuliers. C’est donc un grand élan collectif qui a bénéficié à la commune dont les ressources ne permettaient pas de programmer une restauration si complexe.
Un chantier de la démesure. À terme, la maison aura retrouvé son état de 1923, à la mort de Pierre Loti. La puissance évocatrice des décors et des objets est bien sûr intime à l'écrivain voyageur, mais elle se propage aisément chez le visiteur admiratif qu’elle fera rêver ou chez le voyageur qui y mêlera ses propres souvenirs. Un autre voyage fut celui accompli par l’architecte et son équipe, par le conservateur du patrimoine, et la myriade d’artisans d'art et ouvriers d’excellence. Il aura fallu maints allers retour pendant les cinq années de travaux entre ce qui fut, ce qui était et ce qui sera. Les disparitions, du jardin, de la pagode, de la chambre espagnole, et les pièces oubliées les firent voyager entre les photographies d’époque, celles de Loti, les échanges épistolaires accompagnés de dessins qu’il adresse régulièrement à sa sœur lors de ses périples, ses récits autobiographiques, et les artisans d’art du XXIe siècle, capables de reproduire tel papier peint, tel encadrement chinois, tel vitrail au plâtre, telle gypserie, en mesure de réparer tel pavement de mosquée, tel bas de tenture ottomane du XVIIIe, telles colonnes torses en bois dévorées par les termites…
Chaque plafond, chaque sol et chaque mur furent examinés à la loupe pour en programmer les réparations, de la plus petite trace du passage d’insectes au trou béant de l’usure et de l’affaissement. Les transformations de la maison pour lesquelles Pierre Loti n’était guidé que par ses rêves et souvenirs ont grandement fragilisé les structures du bâti. Pour un tel chantier il fallut mener au même moment, la dépose de chaque objet pour le remettre en état ou le réparer et la gros-œuvre. Pendant que les lustres étaient démontés, que les tissus étaient rebrodés, les machines injectaient de quoi soutenir les structures mises à l’épreuve, des façades aux fondations jusqu’à la toiture. Ce travail d’orfèvrerie devrait conférer à cette maison d'auteur un avenir radieux. Son inauguration officielle aura lieu le 21 mai 2025, « une date symbolique, qui évoque celle de l’élection de Pierre Loti à l’Académie française le 21 mai 1891, en concurrence avec Émile Zola » rappelle le maire Hervé Blanché, dont presque deux mandats ont été consacrés à la restauration.
Maison de Pierre Loti, réouverture le 10 juin 2025. En attendant, au musée Hèbre,un espace d’exposition permanent proposant de découvrir la vie et l’œuvre de l’écrivain rochefortais. Certains objets ou dessins exposés sont issus des réserves. Du mardi au samedi, une visite en 3D temps réel et en diffusion stéréoscopique de la maison de Pierre Loti est commentée par un guide conférencier.