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Sandrine Anglade au Chêne Noir : une Tempête totale

par Véronique Giraud
La tempête, dans la version de la troupe de Sandrine Anglade © Caroline Bottaro
La tempête, dans la version de la troupe de Sandrine Anglade © Caroline Bottaro
Arts vivants Théâtre Publié le 10/07/2023
Faut-il une tempête pour retrouver notre humanité perdue ? C’est ce que propose l’ultime œuvre de Shakespeare. Traduite une dizaine de fois, à la fois comédie et tragédie, La Tempête aiguise l’appétit de metteurs en scène audacieux. En témoigne l’adaptation de Sandrine Anglade dans le Off d’Avignon.

Les éclairs et les fracas de la tempête qui font trembler le théâtre du Chêne noir augurent du spectaculaire et de la démesure décrits par le plus célèbre dramaturge anglais dans son texte de 1610. Il aurait été étonnant que La Tempête échappe à Sandrine Anglade, metteure en scène de théâtre et d’opéra qui travaille avec la même attention le texte, le jeu des comédiens, les musiques, le décor spectaculaire et toujours mouvant, et des costumes qui mêlent l’historique et le contemporain. Pour s’atteler à son adaptation, la metteure en scène a demandé une nouvelle traduction à Clément Camar-Mercier. La Tempête devient ainsi le spectacle total d’une fable philosophique et engagée de l’auteur élisabéthain.

Dénouer le vrai du faux, la réalité de l’illusion, le bien du mal, n’est-ce pas l’activité humaine par excellence ? Avec son ultime pièce, Shakespeare en écrit le spectacle autour d’un personnage, Prospéro, duc de Milan usurpé par son frère, qui vit ces contradictions au sein de son pouvoir et de son désir de vengeance.

 

Magie noire, magie blanche. Dans notre culture cartésienne, le merveilleux, le magique, les enchantements ne sont pas des ingrédients de spectacle. Ils sont pourtant constitutifs de l’œuvre de Shakespeare, et Sandrine Anglade les restitue avec plaisir comme autant d’éléments de la pièce. Magie noire, magie blanche, esprits du bien et malfaisant, puissants et serviteurs, sons étranges, fureur de l’orage, langage ciselé, masques, instruments de musique, composent une pièce où la metteure en scène trouve matière à sa propre conception plurielle du théâtre. Chants, poésie, jeux de corps et de décors, la traduction scénique des phénomènes naturels et surnaturels ne fait rien perdre de la puissance des mots. Les sortilèges du théâtre s’accordent avec la pensée machiavélique.

Usant de sortilèges comme d’une analyse intérieure, Prospéro devra revenir sur son passé pour être enfin lui-même, et affronter le présent. Une leçon philosophique que Sandrine Anglade met en valeur. Il faut en passer par une nouvelle tempête et d’autres sortilèges pour in fine poser un regard lucide et apaisé sur le monde. Il faut faire revenir un passé occulté, volé, pour affronter avec calme le présent. L’empire de la raison doit l’emporter sur celui des rêves et des manigances qui ont occupé les esprits pendant le spectacle.

 

L'art de gouverner. Introspection mais aussi réflexion sur le pouvoir. Résister au démon, ne pas succomber à la tentation de vengeance, parvenir à la sincérité sont art de gouverner. Ce n’est qu’en revenant sur toutes les facettes du passé que la paix pourra s’installer, que la raison sociale l’emportera sur la bestialité individuelle. En jetant son grimoire, sa baguette et son manteau magique, après avoir restitué le passé occulté par le mensonge et l’usurpation, après avoir réuni les camps ennemis par le mariage de sa fille Miranda et de Ferdinand, le duc s’apprête à faire renaitre la cité de Milan. Une façon de voir qui reste d’actualité.

 

Un spectacle total. Pour servir son travail opératique, long, profond, collectif, Sandrine Anglade a un allié de poids, le comédien Serge Nicolai. De son corps imposant mais sans arrogance, de sa voix puissante mais sans emphase, de son ton caressant mais ferme, l’acteur du Théâtre du Soleil est le maître de la comédie, magicien et duc de Milan. De même taille, Sarah-Jane Sauvegrain joue Ariel, contraint de mettre sa grâce et sa versatilité au service du projet fomenté par son maître. La beauté d’Ariel contraste avec la monstruosité de Caliban dont Prospéro a aussi fait son esclave. Damien Houssier, qui endosse le rôle, est aussi Ferdinand, devenant un prince de Naples timide et maladroit dont Miranda, fille du duc de Milan, va tomber amoureuse. La musique traverse la pièce, en chants du XVIIe siècle, de Johnson, Purcell, Dowland, et en intermèdes instrumentaux qu’interprètent avec grand talent une accordéoniste et un guitariste. La machinerie fait aussi partie intégrante du spectacle. La troupe fait et défait, met en place des tableaux scéniques sous les yeux des spectateurs qui assistent à la fabrication et au démontage des décors. Pour la metteure en scène la magie fait alors théâtre. Ou est-ce l’inverse ?

 

 

La Tempête, de William Shakespeare. Nouvelle traduction : Clément Camar-Mercier. Mise en scène : Sandrine Anglade. Avec Clément Barthelet | Héloïse Cholley | Damien Houssier | Alexandre Lachaux | Serge Nicolaï | Nina Petit | Sarah-Jane Sauvegrain | Benoît Segui | Quentin Vernede. Du 7 au 27 juillet à 10h au Théâtre du Chêne noir. Relâche les 10, 17 et 24 juillet.

 

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