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Susan Elizabeth Gagliardi, « aux origines de l’art Senufo »

par Véronique Giraud
Susan Elisabeth Gagliardi, devant un objet collectionné par Robert Mason ©Giraud/NAJA
Susan Elisabeth Gagliardi, devant un objet collectionné par Robert Mason ©Giraud/NAJA
Arts visuels Arts plastiques Publié le 17/12/2015
L'exposition "Senufo, art et identités en Afrique de l’ouest", présentée au Musée Fabre à Montpellier, s'appuie sur les travaux de Susan Elizabeth Gagliardi. Au cours de ses recherches au Burkina Faso, l'historienne de l'art s'est posé trois questions : que veut dire le mot Senufo, d’où vient-il, comment l’a-t-on appliqué aux arts ? Ses découvertes sont passionnantes.

L’histoire de l’art a été écrite par les occidentaux, ceux qui ont collecté les œuvres africaines le sont aussi, peu ont porté le nom de leurs auteurs ?

Exactement. Il y a toutefois dans cette exposition un objet collectionné par Albert Maesen qui porte le nom de l'artiste. Cet historien de l’art a passé l’année 1939 en Côte d’Ivoire dans le but d’étudier la communauté Senufo. Il est l’un des deux premiers historiens de l’art au monde à avoir étudié l’art africain en Afrique. C’est extraordinaire. Cela veut dire que quelques chercheurs se sont posé la question de l’auteur. Mais la plupart, non. C’est pourquoi, à ce jour, on n’a pas les noms des artistes qui ont fabriqué ces objets.

 

Pourtant les historiens de l’art se posaient la question de l’auteur sur d’autres œuvres d’art ?

Pour l’Afrique, en disant Senufo cela suffisait. On pensait à l’ethnie, pas à l’individu. Mais pour moi, derrière ces œuvres, il y a des individus. On parle la langue Senufo, des choses se ressemblent d’une communauté à une autre, mais il y a aussi des individus, dont on a perdu le nom, la trace. Ce que nous voulons montrer avec cette exposition c'est que tout cela s’appelle l’art senufo parce que c’est ce que nous avons appris en Europe et aux Etats-Unis. Mais auparavant, ce n’était pas comme cela. Avant que les Français n’arrivent en Afrique de l’Ouest, les populations ne s’appelaient pas senufo.

 

Comment est venu ce nom ?

C’est une histoire compliquée. Deux Français, Louis-Gustave Binger (1856-1936) et Maurice Delafosse (1870-1926), sont allés explorer l’Afrique de l’Ouest. Maurice Delafosse a dessiné la première carte désignant le pays Senufo. Ce qui est étonnant c'est qu'il a écrit : c’est le pays Senufo mais les habitants ne disent pas qu’ils sont Senufo. Binger a dit la même chose. Ce que je veux tracer dans l’histoire c’est que ce sont ces deux Français qui ont désigné les Senufo. Il y a même une petite ville en Côte d’Ivoire que les Français ont désignée comme étant le centre Senufo. J’aimerais montrer que l’idée de l’art Senufo n’existait pas à l'époque. Pourtant aujourd’hui cela a un sens, pour les gens en Côte d’Ivoire cela fait partie de l'histoire. Pour les administrateurs français, il était important de montrer que l’art Senufo était un art traditionnel. Et pendant des décennies. L'historien de l'art Robert Goldwater (qui a organisé la première exposition de cet art, à New-York en 1963) désigne l’art senufo, pensant que c’est une ethnie. Je ne pense pas comme ça.

 

Revenons-en à l’objet de Albert Maesen…

Il a collecté cet objet à Korogo, une ville que les Français ont désignée comme le centre de la région Senufo mais qui n’apparaît pas sur les cartes de 1890.

 

Pensez-vous que ce que vous dénoncez par cette exposition peut-être réparé ? Y a-t-il une solution pour nommer différemment ?

C’est ce que nous sommes en train de chercher. Nous avons lancé un deuxième projet. Non pas une exposition, mais une carte numérique pour chercher les renseignements précis sur les objets et les détails des archives. Il y a beaucoup d’objets pour lesquels on n’a pas d’information mais il y en a d’autres pour lesquels on connaît la provenance. Avec cette carte, j’espère que les choses changeront.

 

Vous êtes une jeune historienne de l’art, comment s’est imposé à vous le mot Senufo ?

Ce qui m’a toujours interpellé c’est que quand on montre l’art africain, c’est par ethnie, on nie l’individu. Pour l’exposition, je voulais montrer que quelqu’un a fabriqué cela, même si on ne met pas le nom.

 

Votre thèse est publiée ?

Aux Etats-Unis, on ne publie pas une thèse. Le livre de l’exposition en reprend une partie, et je suis en train de chercher à la publier. J’ai aussi fait plusieurs conférences au Musée du Quai Branly autour des idées de ma thèse.

 

Susan Elizabeth Gagliardi est professeur adjoint d’histoire de l’art à l’Emory University d’Atlanta. Au cours de ses études doctorales, elle a étudié l’art Senufo. Sa thèse est intitulée  Crossing borders, pushing bundaries : art of power associations on the Senoufo-Mande cultural. C’est à partir de ses vingt-deux mois d'études et de recherches sur le terrain à l’ouest du Burkina Faso, où elle a étudié les communautés Senufo et Mandé, qu'une exposition a été montée au musée d'art de Cleveland. Après le musée d'art de Saint-Louis, l'exposition est présentée au musée Fabre de Montpellier, son unique escale européenne. Le catalogue de l’exposition, intitulé Senufo unbound, dynamics of art and identity in west Africa (Senufo sans frontières), reprend ses recherches. Il est publié aux éditions Cinq Continents (2015).

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