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Mot de passe oublié ?« TAPISSERIE ? » : De Picasso à Messager
La tapisserie occupe peu de place dans l’actualité artistique du XXIe siècle. L’exposition organisée jusqu'au 31 octobre au musée d’Angers, bien qu’elle montre des réalisations contemporaines et innovantes, mérite qu’on s’arrête un peu sur le passé de cette riche héritière. Issue d’une longue tradition qui a concouru au faste des cours du monde, la tapisserie a fait son entrée dans l’univers de l’art au XXe siècle avec la collaboration d’artistes d’avant-garde, grâce en particulier à une galeriste et collectionneuse, Marie Cuttoli (1879-1973). Cette passionnée d'art textile incite les plus grands d'entre eux à confier leurs créations à l’interprétation des artisans lissiers. Rendant possibles quelques belles réalisations, de Jean Lurçat, Rouault, Braque, Picasso, une voie confirmée par les monumentales compositions de Sonia Delaunay. A partir des années 60, un vent de liberté souffle sur le métier à tisser. Les artistes s’y installent pour créer directement, délaissant le carton peint et numéroté récemment initié par Jean Lurçat. La technique n’est plus assujettie à un mode unique de fabrication, elle s’ouvre à d’autres expérimentations, tissages, broderies, patchworks… Le public a pu se rendre compte de cette évolution radicale en 1965 avec la première Biennale internationale de la tapisserie à Lausanne qui réunissait les chefs de file de la « nouvelle tapisserie » : la polonaise Magdalena Abakanowicz, la yougoslave Jagoda Buic, toutes deux nées en 1930, la colombienne Olga de Amaral (née en 1932), Marinette Cueco (née en 1934), les français Pierre Daquin (né en 1936) et Thomas Gleb (1912-1991), le catalan Josef Grau-Garriga (1929-2011), ou encore le bulgare Maryn Varbanov (1932-1989). Ces artistes, et d’autres plus proches de nous, ont été montrés en 2013 au musée d’art moderne de la Ville de Paris à l'initiative de sa conservatrice Anne Dressen, avec l’exposition Décorum. Nombre d’œuvres textiles contemporaines provenaient des musées d’Angers, l’une des villes les plus riches en la matière depuis que Jean Lurçat, impressionné par la tapisserie de l’Apocalypse qu’il découvrit en 1937 dans le château du Roi René, a œuvré dans l’art de la tapisserie jusqu’à son dernier souffle et fait don à la ville de chef d’œuvres, parmi lesquels Le chant du monde, suite de tapisseries directement inspirée de la tenture médiévale. Il était donc tout naturel qu’à son tour Angers, qui abrite un musée de la tapisserie contemporaine et où l’école des Beaux-Arts forme à l’art de la tapisserie, souhaite faire écho à l’exposition parisienne. C’est ainsi qu’est né le projet TAPISSERIE ? De Picasso à Messager, auquel les prêts du Musée d'art moderne de la Ville de Paris et du Centre national des arts plastiques ont donné une ampleur historique exemplaire.
Le point d’interrogation du titre de l’exposition fait sens. L’art de la tapisserie en Europe occidentale a une longue tradition, royale, des manufactures historiques Gobelin, Beauvais, Aubusson, cette dernière ayant connu un regain d’activité et de renommée avec Jean Lurçat qui y inventa en 1933 la technique du carton peint numéroté. Aubusson revendique d'ailleurs toujours sa proximité avec les artistes contemporains, par la fabrication régulière de leurs œuvres.
Alors où en est la tapisserie ? Après les avant-gardes artistiques du début du XXe, après les engagements politiques, celui de Jean Lurçat fut très important lors des deux conflits mondiaux, l’art de la tapisserie porte toujours au XXIe siècle un fort élan d'innovation et de revendication, culturel, social, politique. C’est ce que montre les nombreuses œuvres réunies à Angers, qui couvrent un siècle de créations. L’intimité des traumatismes féminins évoqués par Louise Bourgeois avec Seamstress/Mistress/Distress/Stress côtoient Ma collection de proverbes, suite de mots brodés par Annette Messager, et Dooomestic, sa parodie inquiétante de poupées de tissus. Marie-José Lortet suggère la féminité avec sa délicate Mariée de fil quand Fanny Viollet livre La mémoire, une dentelle de mots, une silhouette féminine habilement ajourée. La nouvelle génération prend le relai en assemblant tissus et tissages pour exprimer les nouveaux horizons de la société. Elle est ici représentée par Ulla Von Brandenburg, Caroline Achaintre, Isa Malsheimer, Eko Nogroho et Julien Prévieux.
Qu’elles soient abstraites, comme les magnifiques inspirations picturales de Thomas Gleb, figuratives comme la série La rue parle d’Eko Nugroho, qu’elles soient allégoriques ou narratives, minimalistes ou bavardes, qu'elles soient composées de fibres naturelles ou synthétiques, transformées ou non par la couleur, qu’elles soient délicates dentelles ou délirant patchwork, ces créations ont ceci de commun qu’elles expriment un long temps de création. Un temps qui aujourd’hui donne le vertige, et qui a pour effet de ralentir la course effrénée de l’image et du mot. Ici l’image est couleur, le mot est fil de broderie, l’œil doit s’imprégner en plusieurs endroits de la composition pour en apprécier l’ensemble. Là des panneaux exacerbent l’irrégularité rustique de la fibre. Là l’intention d’exprimer un aujourd’hui toujours criant d’injustice, ici le rappel d’une évidence oublié, celle d’une nature magnifiée.
Tapisserie ? de Picasso à Messager - Exposition du 23 mai au 31 octobre 2015 - Musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine - Angers
