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« Tout numérique » le monde d’après ?

par Jacques Mucchielli
L’incertitude règne dans le monde du spectacle vivant. Concerts, chorégraphies, pièces de théâtre, cirque, opéras, tout semble en suspens. ©Rivaud/Naja
L’incertitude règne dans le monde du spectacle vivant. Concerts, chorégraphies, pièces de théâtre, cirque, opéras, tout semble en suspens. ©Rivaud/Naja
Hors-Champs Société Publié le 20/08/2020
La crise sanitaire a plongé le monde de la culture dans un brouillard inquiétant. Annulations de festivals et manque de visibilité frappent les arts vivants. L’étude décennale du ministère de la Culture montre l’émergence de nouvelles pratiques où le numérique l’emporte sur le patrimonial.

Le cœur n’y est plus. La réouverture des salles de spectacles et de cinéma en juin, avec les restrictions que l’on connaît, n’a pas séduit le public. Les salles obscures accusent une chute de fréquentation de 70% sur le mois de juillet 2020 par rapport à juillet 2019, ce qui a entrainé la fermeture provisoire de lieux emblématiques comme le Grand Rex à Paris. Et les théâtres et opéras ne savent pas s’ils doivent maintenir les billetteries pour cet automne. Les « mesures de distanciation » semblent antinomiques avec la gestion des salles. Le remplissage de ces dernières n’est pas seul en cause. Les annulations en cascade des festivals qui assurent les créations des spectacles de l’année à venir posent le problème d’une création culturelle affaiblie.

Les répercussions sont multiples. Deux chercheurs ont tenté d’évaluer l’impact des annulations de festivals. Emmanuel Négrier, du CNRS de l’université de Montpellier, et Aurélien Djakouane, du laboratoire sophiapol de l’université de Nanterre, ont chiffré à 2,6 milliards d’euros l’impact économique. Une somme qui comprend la perte des dépenses en billetterie, hôtellerie, restauration, tourisme, mais aussi la baisse des dépenses des festivals eux-mêmes.

 

238 000 engagements annulés. Conséquence, les chercheurs prévoient jusqu’à 111 065 suppressions d’emplois. Par ailleurs 238 000 engagements d’artistes ont été annulés, les autres étant indemnisés par solidarité, comme 450 personnels saisonniers, intermittentes et intermittents que devait employer le Festival d’Avignon. Ou, à 70% les petits cachets des artistes dont les spectacles du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence ont été annulés (les autres ont été reportés en 2021). Montpellier-Danse, qui annonce une saison d’automne, a pu jouer autrement en reportant de quelques mois les trois-quarts de sa programmation de juillet.

L’État et les collectivités locales ont maintenu les subventions aux festivals et aux spectacles, permettant d’assurer en partie les salaires des personnels permanents et l’indemnisation des compagnies. Mais les spectacles et festivals dont le budget repose en grande partie sur la billetterie, ont beaucoup perdu, comme les Vieilles Charrues de Carhaix dont les 18 millions d’euros de budget ne seront pas cette année dépensés pour les déplacements, les repas et les 700 salaires.

 

Des pratiques culturelles qui changent. Outre les questions économiques et sociales, les actrices et acteurs de la culture interrogent l’avenir de l’art vivant dans son ensemble. Si toutes et tous connaissent une période dans leur carrière où les spectacles ne trouvent pas preneur, où les salles restent clairsemées, l’avenir n’était jusque-là pas compromis. Aujourd’hui nombreux sont celles et ceux qui craignent une extension des mesures sanitaires sur l’année 2021, voire au-delà, inscrivant dans le marbre de nouvelles pratiques culturelles qui ne font pas la part belle à la scène.

Publiée le 10 juillet par le ministère de la Culture, l’étude décennale sur les pratiques des Françaises et Français indique une nette progression du numérique, et pas seulement pour les jeunes générations. Réalisée auprès de 9 200 personnes âgées de plus de 15 ans, l’étude montre que la « consommation » culturelle n’est pas en baisse, mais les pratiques dites « patrimoniales » (lire, fréquenter les cinémas, théâtres, lieux patrimoniaux) reculent avec les générations alors que la culture numérique, notamment la musique et les vidéos, est en pleine expansion.

Les plateformes de streaming, qu’elles soient gratuites comme Youtube ou payantes comme OCS et Deezer, ont bousculé les pratiques. Netflix, qui ne cesse de progresser, va bientôt annoncer ses 200 millions d’abonnés payants. La plateforme de Disney, lancée récemment, annonce déjà 100 millions d’abonnés. Après trois mois d’hésitation, la major a finalement bousculé le monde du cinéma en décidant une sortie mondiale sur sa plateforme de son dernier film Mulan au détriment des salles.

 

Le « tout numérique ». La mise en ligne souvent gratuite des opéras, concerts et pièces de théâtre, pendant et après le confinement, semble renforcer la tendance. Cet été, il suffisait de regarder Arte pour avoir accès aux deux opéras du festival de Salzbourg, maintenu avec une programmation allégée. La pratique n’est pas nouvelle et permet à des millions de gens d’accéder aux festivals par écran interposé. Mais elle s’est renforcée et inscrite durablement dans les budgets des festivals.

Les pratiques numériques, particulièrement chez les jeunes, ont tendance à être exclusives. Le « tout numérique » est désormais acté pour une personne sur six. Celle-ci voit un film par jour, suit les réseaux sociaux, écoute dès que possible de la musique en ligne, joue aux jeux vidéo, mais va très peu au cinéma, encore moins au théâtre ou dans un musée, et ne lit pas de livre. La moitié de ces nouveaux consommateurs a moins de 25 ans.

Seulement 4% de cette jeune génération se sent « appartenir » à la « culture patrimoniale ». Ils étaient 44% dans la génération de leurs parents et 47% dans celle de leurs grands-parents. C’est dire si la chute est récente et brutale.

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