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Hélène Vitali : Quand le vitrail se fait haute couture

par Pierre Magnetto
Hélène Vitali, le vitrail comme un art vital.©Mirà
Hélène Vitali, le vitrail comme un art vital.©Mirà
Sur la passerelle de la Fashion week de Paris, une robe de la collection « Natural » automne-hiver par John Galliano.
Sur la passerelle de la Fashion week de Paris, une robe de la collection « Natural » automne-hiver par John Galliano.
Un miroir, une fleur ? Les deux à la fois, une création d’Hélène Vitali. © Mira/NAJA
Un miroir, une fleur ? Les deux à la fois, une création d’Hélène Vitali. © Mira/NAJA
Le 8 juillet 2015 au Grand Palais, une robe « Natural » automne-hiver par John Galliano. DR
Le 8 juillet 2015 au Grand Palais, une robe « Natural » automne-hiver par John Galliano. DR
"Il suffit que je vois une forme qui m’intéresse pour me dire tiens, je pourrais en faire ceci ou cela. » ©Mira/NAJA
«  Je me suis aperçue qu’on est habité par des formes, qu’on finit par les digérer. Comme dans l’abstraction, elles prennent une force symbolique et reviennent tout le temps. » ©Mira/NAJA
« Je me suis aperçue qu’on est habité par des formes, qu’on finit par les digérer. Comme dans l’abstraction, elles prennent une force symbolique et reviennent tout le temps. » ©Mira/NAJA
Style de vie Mode Publié le 10/07/2015
Hélène est vitrailliste, dans son atelier près de Belleville elle crée des bijoux, des luminaires, des panneaux, des objets divers, tous contemporains. Une passion artistique, un besoin vital qu’elle ne peut réprimer malgré parfois les difficultés. Et puis un jour…

Matin et soir Raphaël monte ou descend la rue Jean et Marie Moinon. Normal, c’est un peu un passage obligé sur son trajet entre son domicile et son lieu de travail. Il s’agit d’une rue étroite dans le quartier de l’Hôpital Saint-Louis à Paris, qui monte en pente pas vraiment douce vers Belleville. Une rue de 200 ou 300 mètres de long à peine. En bas, les façades des premiers immeubles de deux ou trois étages sont en cours de ravalement, le reste viendra plus tard, peut-être. De chaque côté, le long de trottoirs pas très larges non plus, sont plantées de vieilles échoppes, avec leurs panneaux en bois qui pour la plupart n’ont connu ni vernis ni lasure depuis belle lurette. Mais tout en haut de la rue, il y en a une qui dénote dans le paysage. Le panneau de la porte d’entrée est un vitrail multicolore, aux motifs arrondis. A travers ce qui devrait faire office de vitrine, on devine plus que l’on aperçoit, comme un bric-à-brac dont on a du mal à distinguer les composantes.

Depuis des années Raphaël passe devant cette échoppe, intrigué, curieux de savoir ce qu’il s’y passe. Mais jamais il n’a osé ouvrir la porte. Il a bien vu que la personne qui se tient à l’intérieur paraît toujours très affairée. Peut-être n’ose-t-il pas la déranger, peut-être n’a-t-il pas le temps de prendre un moment pour satisfaire sa curiosité. En avril dernier cependant, Raphaël l'a enfin poussée cette porte. Mais ce qu’il ne savait pas, c’est que ce  n’était pas une porte comme les autres. C’était un trou noir, de ceux dont les astrophysiciens ont longtemps pensé qu’ils ne faisaient qu’absorber la matière pour la disloquer et la réduire à l’état d’atomes, et dont ils supputent désormais que ce sont des voies d’accès vers des univers parallèles. Et cet univers derrière cette porte de la rue Jean et Marie Moinon, c’est celui d’Hélène, Hélène Vitali.

Un besoin vital de vitrail Hélène est vitrailliste. Du haut de ses 35 ans, elle maîtrise toutes les techniques d’un art dont les premières réalisations se perdent dans la nuit des temps mais dont les fondements, apparus au XIe siècle avec les bâtisseurs de cathédrales, ont été modernisés à la Renaissance et n’ont cessé depuis de bénéficier d’innovations avec des métaux et alliages nouveaux, une diversité de verres permettant de varier les effets, de donner du volume, de jouer sur les couleurs… En fait, rien ne la prédestinait à se tourner vers cette activité artisanale et artistique d’apparence traditionnelle. Née à Caen, de parents enseignants, elle n’a pas suivi la voie de l’éducation nationale comme le font souvent les enfants d'instits et de profs. « A partir de la classe de première, j'étais assez terrifiée à l’idée de choisir un métier. Je me disais - aye-aye, si je dois choisir un seul truc il va falloir vraiment que ça me convienne ». Ensuite c’est le Bac, une année en philo à la fac et puis soudain, le déclic. « J’ai découvert le vitrail » dit-elle sans s’expliquer aujourd’hui encore comment c'est arrivé. « J’ai monté mon premier atelier dans ma chambre, chez mes parents. Je peignais du verre, je le découpais, je fabriquais des objets que j’offrais autour de moi : des cendriers, des dès, des horloges, des panneaux inspirés du Petit prince, des vases ». Tombé de nulle part tel un astéroïde qui va ébranler sa vie, le vitrail s’impose à elle, de manière sans doute inconsciente, devient un besoin vital, instinctif, auquel elle se consacrera désormais pleinement. « C’est là que je suis complètement rentrée dans cette pratique sans jamais en sortir, j’ai plongé dans quelque chose, peut-être à cause de la couleur, mon père avait toujours dit que je ferai un métier dans la couleur. »

Le feu sacré de la création Le pari, si tant est qu’elle ait eu conscience que c’en était un à vingt ans à peine, était de se lancer sans jamais avoir suivi de formation, ni artistique ni technique. Mais cela ne faisait pas peur à Hélène. Le temps de la formation viendra, à Raviers dans le Calvados d’abord avec l’Association du vitrail, aux Beaux-Arts de Caen ensuite avec des cours d’histoire de l’art. Puis ce sera Paris pour une formation en peinture sur verre, tout en se présentant en candidate libre au CAP art et techniques du verre option vitrail. Elle fera un stage chez Fabienne Picaud, maître verrier, souffleuse de verre de renommée internationale. « Avec elle j’ai vu toute l’étendue des matériaux et des techniques qu’on peut utiliser ». Elle travaille un temps dans l’Oise, chez un artisan qui fait de la rénovation de vitraux dans des églises datant des XIXe et XXe siècles. Mais toujours brûle en elle le feu sacré de la création. Le hasard la fait marcher sur les traces d’une céramiste, une des pionnières de la Nouvelle modernité, Guidette Carbonell, très âgée à cette époque, qui lui loue son atelier. « C’était une cabane au fond d’un jardin, mal isolée. L’été, il y faisait super chaud, l’hiver très-très froid, mais ça m’a permis de démarrer vraiment ».

Aujourd’hui Hélène est installée dans son atelier de la rue Jean et Marie Moinon, un petit atelier avec deux établis jonchés de verres, de métaux, de pièces en création, de pinces, ciseaux, fers à souder... Les murs et étagères sont tapissés d’œuvres auxquelles elle est très attachée. Des panneaux, des bijoux, des luminaires, des vases… « J’ai tout de suite voulu faire du moderne, je mélange les techniques, les styles ».

Une force symbolique Au moyen-âge les vitraillistes sertissaient leurs pièces au plomb et les soudaient à l’étain, au XIXe siècle l’orfèvre Charles Lewis Tiffany proposait des armatures en cuivre, des verres nouveaux conçus pour épouser des formes variables comme ceux de ses célèbres lampes libellules. Il superpose les verres, créant des jeux de couleurs, des volumes. Hélène, elle, pioche dans ces boîtes à outils ce qui l’intéresse le plus en fonction des objets qu’elle créée. « Avec cette pièce par exemple, dit-elle en montrant un panneau où dominent le noir et le blanc avec des formes géométriques arrondies, j’ai pu travailler sur les volumes, sur les vides en utilisant la soudure au laiton, en agençant des petites tiges métalliques, en utilisant la technique du cuivre, c’est une façon de travailler tout à fait personnelle ».

« Et puis, ajoute-t-elle en désignant un vase, il y a six ans j’avais travaillé exactement sur les mêmes formes. Je me suis aperçu qu’en fait on est habité par des formes, qu’on finit par les digérer et que, comme dans l’abstraction, elles prennent une force symbolique et reviennent tout le temps. »

Alors bien sûr il y a des moments difficiles, un travail parfois harassant qui la pousse à passer la nuit dans le petit réduit de l’arrière-atelier quand elle est débordée de travail. Un travail fait pour proposer des collections, des objets à vendre, notamment sur le marché des arts de Bastille où elle tient un stand toutes les semaines. Les ventes ne sont pas assurées, il faut proposer beaucoup pour vendre assez peu mais qu’importe : « la difficulté de vivre de ce type de travail est réelle, difficile de louer un atelier, très peu d’endroits pour exposer de manière peu coûteuse, mais je continue parce que je veux rester libre, vivre comme je l’entends, rester habitée par mon art. J’ai tout le temps des idées, il n’y a rien à faire, dans le métro, en dormant. Il suffit que je vois une forme qui m’intéresse pour me dire tiens, je pourrais en faire ceci ou cela. Je vois un motif, j’ai tout de suite envie de l’interpréter à ma façon. »

De la broderie de miroir Alors voilà, c’est ça l’univers d’Hélène dans lequel pénètre Raphaël en ce mois d’avril. En fait Raphaël est styliste, il travaille pour des maisons de haute couture et sait que l’une d’entre elles recherche un savoir-faire qu’Hélène pourrait bien lui apporter. Après s’être présenté, il entame la conversation, se renseigne sur son travail, demande à faire des photos de l’atelier, indique que John Galliano pourrait-être intéressé. « Pour les photos je lui ai dit non tout de suite. Pour Galliano, on est tellement sollicité par des gens qui vous promettent monts et merveilles et qu’on ne revoit plus jamais que, s’il m’avait dit la reine d’Angleterre, ça m’aurait fait le même effet ».

Le lendemain coup de fil de Virginie, « je recherche quelqu’un qui sache faire de la broderie de miroir » lui dit-elle sans faire allusion à Raphaël. « Tout de suite, ce terme «broderie de miroir » ça me parlait, ça allait dans le sens de mes recherches, la façon dont je fais mes vitraux c’est justement comme de la broderie, je fais du vitrail dentelle, souple, j’avais même commencé à travailler sur un bustier ».

Rendez-vous est pris à l’atelier et là, Virginie, Virginie Olivier, qui n’est autre que la coordinatrice de collection de John Galliano, se présente enfin en tant que telle. Elle apporte avec elle des dessins de fleurs, demande s’il est possible d’en faire des miroirs pouvant être cousus sur du tissu. « Nous avons cherché auprès des joaillers, d’autres corps de métier, nous n’avons trouvé personne qui puisse nous proposer quelque chose » lui-dit-elle. « Moi, j’ai vu tout de suite comment faire ». S’en suivent d’autres rencontres avec les stylistes de Galliano, le projet se précise. Le créateur souhaite utiliser des morceaux de miroir brisé, de miroir traditionnel et de miroir vieilli de deux millimètres d’épaisseur au maximum. « Il fallait que ce soit souple, que ce ne soit pas coupant, quant au miroir vieilli de cette épaisseur ça n’existe pas ». Peu importe, Hélène s’attaque au problème, trouve les solutions. « Le mélange entre les trois miroirs donne une richesse visuelle extraordinaire », confie-t-elle.

La fibre créatrice toujours Et puis les choses se précipitent. John Gallianno qui travaille désormais pour Maison Margiela doit à tout prix finaliser sa collection pour la Fashion week de Paris début juillet. En fait pour Hélène, il s’agit de réaliser un ensemble de pièces, reliées entre elles par des liens en cuir ou en métal, venant en ornement par dessus des robes du grand couturier pour la collection "Artisanal" automne-hiver par John Galliano. Il y faut de la souplesse, de la fluidité, pour que la structure épouse les mouvements du tissu. « Ils ont fait venir John Galliano dans mon atelier, raconte Hélène, c’était fin juin, à quelques jours du défilé. Il n’est pas resté longtemps, mais il s’est montré très chaleureux, il a dit qu’il avait vachement aimé mon travail, que tous ses collaborateurs lui avaient dit qu’il fallait absolument qu’il vienne voir mon atelier. Il est venu juste pour me rencontrer, je l’ai senti très proche ». Jusqu’à la veille de la présentation ce fut la course, les allers et retours entre l’atelier d’Hélène et celui de Galliano pour peaufiner les derniers détails.

Et puis, mercredi 8 juillet, ce fut le grand jour, celui du défilé au Grand Palais. Hélène est invitée, d’abord en back stage où elle nettoie une dernière fois les miroirs tandis que les stylistes et les couturières mettent la dernière main à la préparation des mannequins. Puis c’est le défilé, cent personnes triées sur le volet, pas une de plus, et Hélène assise au pied de la passerelle, avec son nom inscrit sur le fauteuil qui lui a été réservé. Et pour finir, un pot joyeux avec toute l’équipe Galliano pour célébrer l’événement.

Voilà, cette histoire c’est un peu comme un conte de fée. Mais c'est aussi le résultat d'une persévérance. Hélène, elle, reste fidèle à ses valeurs. « Si je pouvais avoir des commandes comme celle-là de temps en temps ça serait pas mal. Ca me permettrait de me consacrer plus sereinement à mes travaux de recherche, à mes propres créations ». La fibre créatrice, toujours.

 

Hélène Vitali Vitrail - rue Jean et Marie Moinon - 75010 Paris

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