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VIVENT LES ARTS VIVANTS !

par Élisabeth Pan
Un moment de la comédie dansée D'un rêve, conçue par Salia Sanou © Laurent Philippe
Un moment de la comédie dansée D'un rêve, conçue par Salia Sanou © Laurent Philippe
Arts vivants Interdisciplinaire Publié le 28/08/2021
Chamboulée par la pandémie et de longs mois d’incertitude, la scène française a senti une bouffée d’air traverser l’été. Panorama des spectacles marquants qui seront repris cette saison

Les artistes ont vécu une année 2020 démotivante. Les arts vivants ont été particulièrement touchés parce qu’une salle ne peut rester vide. « Un spectacle sans public, ça n’existe pas » disait Christine Malard, directrice de la scène nationale d’Aubusson, exprimant le sentiment de tous les artistes, à l’instar de Thomas Jolly, directeur du théâtre national d’Angers, qui préféra jouer sur son balcon pour ses voisins que s’enfermer seul dans son théâtre.

C’est dire si l’été 2021 avec son cortège de festivals était attendu, tant par les créatrices et créateurs que par le public. Une anecdote le confirme. Le deuxième jour du Festival d’Avignon, un orage méditerranéen, violent mais a priori limité dans le temps, s’est abattu sur la cité des papes dix minutes après que la Cour d’honneur se soit ouverte aux spectatrices et spectateurs. Dans ces moments, les artistes sont dubitatifs : trop dangereux d’évoluer sur une scène mouillée, peu confortable pour le public. Tiago Rodrigues, actuel directeur du théâtre national Dona Maria II de Lisbonne et futur directeur du Festival d’Avignon, assumait la représentation phare dans la Cour avec son adaptation de La Cerisaie de Tchekhov. Après avoir consulté actrices et acteurs, notamment Isabelle Huppert qui incarnait Lioubov, la compagnie a décidé que la météo ne pouvait venir gâcher les retrouvailles. Le public, contraint d’attendre deux heures sous la pluie, a été du même avis.

 

Des créations mondiales annulées. Les festivals ont ainsi offert des retrouvailles grandioses. Mais tous les responsables du monde du spectacle ont émis une crainte : est-ce que d’avoir rayé une année pour remettre à la suivante les futures créations des troupes et des compagnies ne va pas embouteiller les scènes ? Les artistes émergents ne vont-ils pas pâtir de cette situation, faute de pouvoir présenter leur travail ? La question reste d’actualité en cette rentrée, même si la solidarité entre artistes et salles atténue l’inquiétude.

Déjà, parmi les créations annoncées, nombreuses sont celles qui ont dû être annulées en raison d’un problème sanitaire. Ce fut notamment le cas pour l’opéra de la jeune compositrice libanaise Bushra El-Turk. Une création mondiale d’opéra contemporain est une chose rare. Par an, elles se comptent sur les doigts de la main dans le monde entier. C’est dire si Woman at Point Zero, composé d’après les écrits de l’écrivaine égyptienne Nawal El Saadawi, engagée contre l’oppression des femmes et l’intégrisme religieux, était attendu. Un cas de covid-19 a empêché l’événement de se tenir au festival All Arias d’Anvers avant d’être repris au festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence.

 

De beaux spectacles pour 2021-2022. C’est aussi à Aix-en-Provence qu’une des plus belles créations mondiales a été donnée. Commandé par le festival international d’art lyrique et travaillé pendant huit ans par une équipe unie autour de la compositrice Kaija Saariaho, l’opéra Innocence a été salué comme un chef d’œuvre lors de sa création mondiale au grand Théâtre de Provence, le 3 juillet. Le public, debout, l’a ovationné pendant de plus de dix minutes. Deux autres Finlandaises étaient aux commandes : pour le livret, l’écrivaine Sofi Oksanen, connue en France pour son roman Purge (Prix Fémina étranger 2010) et, pour la direction musicale, Susanna Mälkki.

Côté théâtre, les spectacles créés à Avignon partent en tournée. La Cerisaie de Tiago Rodrigues sera jouée à Lisbonne, Paris, Liège, Genève, Vienne. Liebestod, de l’autrice et metteuse en scène espagnole Angélica Liddell, qui redouble d’audace et d’outrecuidance avec un beau texte où Wagner côtoie le torero Juan Belmonte dans l’arène de notre temps, à Gand, Douai et Orléans. Avec Entre chien et loup, Christine Jatahy a mis le Dogville de Lars von Trier sur plateau et sur écran pour interroger les mécanismes du fascisme (à Villeurbanne, Strasbourg, Genève et Milan). La Dernière nuit du monde, mise en scène par Fabrice Murgia sur un texte de Laurent Gaudé, se demande jusqu’où la société de consommation poussera la démesure. La pièce se jouera à Liège, Bruxelles, Charleroi, Anvers, Madrid…

 

Côté danse. D’autres spectacles ont particulièrement enthousiasmé le public et la critique. C’est le cas de La Mouette, qu’a adapté Cyril Teste. Après le Printemps des Comédiens à Montpellier, la performance filmique parcourra de nombreuses villes en France. Côté danse, les créations ont conquis les festivals. Salia Sanou a initié la « comédie dansée » avec En rêve à Montpellier Danse, Rachid Ouramdane, nouveau directeur du Théâtre de Chaillot, y a tenté Corps extrêmes. Le spectacle qui sort la danse de ses clous sera à Annecy, au Théâtre de Chaillot. Deleuze / Hendriks qu'a fait dialoguer Angelin Preljocaj sera à Lyon, à Saint-Étienne-du-Rouvray, au 104 à Paris en octobre, puis à La-Ciotat et à Aix-en-Provence.

Fruit d’un esprit de création contenu pendant tant de mois, de nombreux autres spectacles ont joyeusement peuplé les festivals, invitant le public à ne pas abandonner les arts vivants pour les écrans.

 

 

TIROIR PAGE 28

Penthésilé.e.s

Interrogé au tout début du XIXe siècle par un homme, Heinrich von Kleist, le mythe de Penthésilée l’est aujourd’hui par une auteure, Marie Dilasser, pour être mis en scène par Laetitia Guédon. Son texte fleuve a été magistralement incarné à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon. Dit, chanté, dansé, il redonne toute sa puissance à la reine des Amazones. "Avec Penthésilé·e·s Amazonomachie, je veux parler du pouvoir et de la relation complexe que les femmes entretiennent avec lui", prévient la metteure en scène. Alors que s'exerce un nouveau réveil de la femme occidentale, construisant sa révolte contre les excès de la domination masculine, les mots de Marie Dilasser trouvent un écho favorable, coulent dans les oreilles comme un bon vin dans le gosier. Ses digressions dans le présent, ses allusions aux manifestations féminines actuelles, pénètrent l'esprit et les yeux contemporains. La puissance des femmes, héroïnes ou simples mortelles, se révèle ici en entremêlant le mythe et la réalité d'aujourd'hui. C'est la grâce qu'offre le théâtre. En tournée à Montluçon, Colmar, Rouen, Créteil, Creil, Fort-de-France, Basse-Terre, et Paris.

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