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La fièvre de Petrov, un conte surréaliste russe

par Stoyana Gougovska
Cinéma Film Publié le 11/08/2021
Le nouveau film de Kirill Serebrennikov, "La Fièvre de Petrov", adaptation du best-seller d'Alexey Salnikov, a été présenté en sélection officielle du 74ème festival de Cannes, une fois de plus en l’absence du réalisateur russe. Il propose la grandiose métaphore d'une société en malaise permanent sous la forme d’un conte de Noël vertigineux et grotesque.

Dans La fièvre de Petrov, dernier long métrage de Kiril Serebrennikov (Le Disciple 2016, Leto 2018), tout le monde a la grippe. À travers les hallucinations des personnages en proie à la fièvre, le réalisateur enchaîne un tourbillon de visions surréalistes, chargées de symboles. Un condensé à la fois personnel et commun de la réalité post-soviétique de la Russie, "piégée entre son passé déjà achevé et son avenir toujours inexistant”, comme le dit le réalisateur sur écran devant la presse à Cannes.

Adapté du best-seller d’Alexeï Salinkov, Les Petrov, la grippe etc, publié en 2016, le film reprend des grands thèmes de la littérature et l’art russes : les hommes tournés vers leur destin, les prophéties, le surréalisme, le dadaïsme... “Ce mélange d’absurde et de folie fait partie de notre vie et nous y sommes habitués” affirme Serebrennikov. Certains de ces éléments, comme la toux omniprésente dans le film, pourraient rappeler la pandémie mondiale actuelle. Le tournage a pourtant débuté bien avant. “En fait, pour nous, vivre en pandémie était déjà quelque chose d’habituel” constate le réalisateur.

 

Entre souvenirs et hallucinations. Brutalement, dès la première scène, la réalité se brouille dans les hallucinations du protagoniste. Le soir du réveillon du Nouvel An, Petrov voyage dans un bus rempli de passagers à l'humeur exaltée et au comportement plus ou moins déséquilibré. Est-ce la réalité ou un délire ? Va-t-il boire un verre avec ses amis ou en revient-il ? Les souvenirs qui ressurgissent sont-ils les siens ou ceux d’un autre ? Pendant son voyage Petrov est jeté, tel une poupée de chiffon, dans des situations étranges et effrayantes qui entremêlent des souvenirs, balayant toute logique narrative.

Ni les grandes doses d’alcool, ni l'aspirine de 1979 ne parviennent à soigner Petrov et son retour à la maison ne le ramène pas au calme. Sous l’effet de la fièvre, Mme Petrova, une bibliothécaire d’État, se transforme en démon. Dotée d’une force physique hors norme, elle se met à rendre justice avec violence. Malade lui aussi, le fils Petrov aime bien les dessins de son père. Mais est-ce que cette famille est la sienne, ou des personnages créés par Petrov ?

 

La charge symbolique. Quand sa fièvre monte, un souvenir revient à Petrov : celui d'une fête de Noël de son enfance où il est emmené par la main glacée d'une magnifique Blanche Neige. Elle-même enfile son costume, aigrie, occupée par ses problèmes sentimentaux et sa grossesse indésirée, visiblement ennuyée par sa mission d’apporter de la joie aux enfants à Noël.

De l’alcool, du sexe, un écrivain qui se torture, un cadavre qui se lève et rentre à la maison... “ Tout ce que voyez existe, tout est réel ” explique Serebrennikov lors de la conférence de presse qui a suivi la première mondiale de son film à Cannes. Toujours sous les coups d’une interdiction de quitter le territoire russe, le réalisateur a pu répondre aux questions des journalistes par visioconférence, tandis que ses acteurs et producteurs étaient sur place. (N.a Accusé de détournement de fonds, le cinéaste est inculpé d’une peine de 18 mois d’assignation à domicile, qui est maintenant derrière lui. Par contre, il ne peut toujours pas voyager librement à l’étranger)

L’image, mais aussi la poésie et la musique, ont une place centrale chez Serebrennikov, comme dans Leto, son music-hall rock. Pour La Fièvre de Petrov, certaines chansons sont en version originale, d’autres sont interprétées par les acteurs. “J’ai voulu créer une symphonie musicale qui accompagne le film” commente-t-il.

 

Les accusations. Lors de cette même conférence, Serebrennikov est resté discret sur ses problèmes avec la justice, affirmant juste que “Tout va beaucoup mieux”. Tourné pendant une période compliquée pour lui, son projet de La Fièvre de Petrov a été soutenu par des coproducteurs de France, Suisse, Allemagne et le Royaume-Uni. Certains des acteurs viennent du Centre Gogol à Moscou, celui que Serebrennikov a fondé en 2013 et où il a mis en scène de nombreuses pièces, y compris la version théâtrale de Les Petrov, la grippe etc. Le financement public de ce même Gogol Center a servi de motif au pouvoir pour imposer les mesures que le cinéaste subit depuis des années. (lire notre article) D’ailleurs, La Fièvre de Petrov fut tourné en grande partie la nuit car à cette période le réalisateur était souvent occupé au tribunal la journée.

Le film repose sur la tristesse existentielle des âmes brisées, et dresse un catalogue de cauchemars non rêvés. Il reste au spectateur de traverser l'univers de l'œuvre comme on traverse une maladie.

 

La fièvre de Petrov, long-métrage réalisé par Kirill Serebrennikov, est présenté en compétition au Festival de Cannes 2021. Il sortira en salle le 1er décembre 2021.

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