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« La solitude des mues » pour mieux rêver le monde

par Véronique Giraud
Clara Paute et Arnaud Dupont dans La solitude des mues. © Luc Battiston
Clara Paute et Arnaud Dupont dans La solitude des mues. © Luc Battiston
Arts vivants Théâtre Publié le 10/02/2024
Comment fuir la tristesse du réel ? S'identifier à un autre, rêver si puissamment de l'autre qu'il apparaît. Avec "La solitude des mues", Naéma Boudoumi puise dans les ressources de la métamorphose pour laisser s'échapper les corps.

Après le singulier portrait de son père dessiné dans Daddy papillon, son précédent spectacle, Naéma Boudoumi donne cette fois corps et voix à une adolescente férue de culture japonaise. La jeune Kiki apparaît avec, en exact reflet, son amie de lycée qui partage avec elle le plaisir de se glisser dans les mignons attributs du style kawaï. De part et d’autre du plateau, elles en adoptent le vocabulaire, la gestuelle et les rites, se fondant dans les images que leur renvoient les réseaux sociaux. Cette métamorphose est pour Kiki une façon radicale de se déconnecter du réel, celui qu’incarne son père qui vit seul avec elle, semble avoir beaucoup de mal à communiquer et est souvent confronté à l’échec, amoureux comme social.

 

L'écriture des corps. L’esthétique de La solitude des mues prolonge le délicat travail d’écriture sur les corps qu’a entrepris l’autrice et metteuse en scène. Il est ici dominé par les attitudes kawai et par les silencieuses évolutions d’une contorsionniste (magnifique Élise Bjerkelund Reine). Cette dernière se meut silencieusement sur scène, entièrement recouverte d’une masse informe de laines de couleurs enchevêtrées, déjà présentes dans Daddy Papillon, coulant sa mince silhouette jusqu’à disparaître sous l’amas laineux devenu terre, ou se lovant autour d’une architecture, imposante par ses dimensions mais fragile par sa structure évidée. Cette architecture, composée de deux immenses cubes ajourés est, pour le plus grand, le cadre chatoyant de la chambre de l’adolescente, généreusement éclairée et meublée. L’autre celui de la maison vide, triste et sombre, où vit son père. De temps à autre, deux grands écrans verts obstruent le décor pour diffuser des images captées par une caméra sur scène.

La richesse et la disparité des dispositifs sollicitent l’attention du spectateur qui a peu de temps pour s’y adapter. Passant du réalisme à la fantaisie, de l’évasion dans la virtualité à la dureté du quotidien, de la joie d’imaginer à la souffrance que crée l’exigence économique, de la magie de l’insaisissable à la condamnation du concret, de cour à jardin, le regard va et vient sans vraiment se poser. La metteuse en scène renvoie ainsi à la prééminence des images, avec leur batterie d'illusions et de désillusions, qui nous happent sans répit. Jusqu’à rendre impossible l’échange.

 

La solitude des mues, texte Naéma Boudoumi, Arnaud Dupont, mise en scène Naéma Boudoumi. Avec Shannen Athiaro-Vidal, Élise Bjerkelund Reine, Naéma Boudoumi, Arnaud Dupont, Clara Paute, Victor Calcine et à l’image Lucas Garzo. Au Théâtre de la Tempête du 13 janvier au 11 février.

 

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