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Au festival WET°, femmes et théâtre font débat

par Véronique Giraud
Dans une salle de l'opéra de Tours, cinq femmes débattent de l’égalité femme homme lors de la conférence intitulée Le théâtre de femmes est-il politique ?, menée par Reine Prat. ©RivaudNAJA
Dans une salle de l'opéra de Tours, cinq femmes débattent de l’égalité femme homme lors de la conférence intitulée Le théâtre de femmes est-il politique ?, menée par Reine Prat. ©RivaudNAJA
La 6eme édition du festival WET° s'est déroulée du au mars 2022 à Tours. © Gabriela Cais Burdmann
La 6eme édition du festival WET° s'est déroulée du au mars 2022 à Tours. © Gabriela Cais Burdmann
Arts vivants Théâtre Publié le 29/03/2022
L’intérêt d’un festival est de s’immerger dans une communauté et de recevoir des créations très diverses qui n’ont jamais été ou peu vues par le public. Une partie de la programmation de WET° à Tours, confiée à de jeunes artistes pour de jeunes créateurs, attise les problématiques féminines et racistes.

Même s’il ne résume pas le festival, le théâtre documenté a occupé une grande place dans le choix de l’ensemble artistique qui a programmé cette 6e édition de WET°. En témoignent Koulounisation, conçu et interprété par Salim Djaferi ; 37 heures, qu’Elsa Adroguer a écrit, monté et incarne d’après un fait réel, le viol d’une femme alors qu’elle était adolescente ; Beauté fatale, pièce pour laquelle Anna Maria Haddad Zavadinack s’est inspirée librement du livre éponyme de Mona Chollet pour montrer, à travers le jeu de quatre jeunes comédiennes, les conséquences dans la vie des jeunes femmes de l’injonction qui leur est faite d’être belles pour plaire à l’homme. Ces trois spectacles interrogent à la fois l’esthétique et la place du théâtre, quand le réel et la pensée d’un créateur dominent la fiction, et la place des thèmes abordés, ici la colonisation et les violences faites aux femmes.

 

Les femmes, le théâtre et la politique. Il n’y eut pas d’échange au sujet de la colonisation, mais une conférence était programmée pour débattre de l’égalité femme homme sous le titre Le théâtre de femmes est-il politique ?. Menée par Reine Prat, maîtresse de conférence et autrice de Exploser le plafond, Précis de féminisme à l'usage du monde de la culture (éditions Rue de l’échiquier, 2021), elle réunissait trois metteuses en scène programmées au WET°, Ana Maria Haddad Zavadinack (Beauté Fatale), Julie Benegmos (Strip), Elsa Adroguer (37 heures), et Barbara Métais-Chastagnier, maîtresse de conférence, autrice et dramaturge.
Les liens entre création et engagement ? Le théâtre des femmes est-il par essence politique ? Ce sont les questions posées à ces toutes jeunes artistes, dont deux ont été formées au théâtre et une est venue du cinéma documentaire. La différence de temporalité entre la radicale Reine Prat, qui a nourri de ses rapports au ministère de la culture le débat de l’égalité H/F en 2006 et 2009, et ces jeunes femmes qui, dans le sillage de #Metoo et de #Balancetonporc, livrent le corps et la parole des femmes sur scène, apparaît d’emblée.

 

Pas légitime. Les trois jeunes artistes ont en commun d’avoir travaillé sur leur propre écriture pour parler de phénomènes de société. Quand Reine Prat leur demande ce qu’elles feraient si elles choisissaient d’adapter un texte du répertoire, leurs réponses sont : « Je ne me sens pas légitime », ou « Adapter une œuvre du répertoire, ça ne me vient pas à l’esprit, c’est une démarche masculine. ». Pour Julie Benegmos, qui a fait des études de cinéma et n’a pas étudié le répertoire théâtral, la question de la légitimité en théâtre ne se pose pas. Elle s’aventure sans regarder derrière elle vers la création de nouveaux récits. Ana Maria Haddad Zavadinack se demande « Si j’avais mis en scène une pièce classique, est-ce j’aurais eu le soutien que j’ai eu pour monter mon spectacle ? Est-ce qu’il ne faut pas, en tant que femme, prendre cette place-là pour parler des histoires de femmes ? » Elsa Adroguer, qui a écrit sur le viol alors que la parole se libère et que les féminicides font enfin l’actualité, décrit son expérience pour faire entrer sa pièce dans les théâtres : « Pour les producteurs qui l’acceptent il a un vrai engagement. À l’inverse chez d’autres il y a une grande frilosité ».

 

« Les injonctions faites aux comédiennes sur un plateau sont liées à leur physique, témoigne Anna. Ce corps qui appartient au metteur en scène, dont il peut faire n’importe quoi. Le terme « s’abandonner intégralement » en dit long sur le processus de domination ». Vient l’expérience des violences sexuelles et sexistes au sein d’écoles supérieures de théâtre. « Je pense que grâce à #Metoo théâtre, ce n’est plus possible pour les institutions de ne plus réagir, de faire la sourde oreille comme ça a été le cas quand ça m’est arrivé. Même si les gens ne sont pas empathiques, aujourd’hui ils ont peur du scandale ». « Pour notre création Strip, enchaine Julie, nous avons reçu une bourse du CNC parce que nous avons de la VR dans le spectacle ». Pour obtenir cet bourse, il était exigé qu’elle suive la formation égalité homme femme. « Je me demandais ce que j’allais y faire, c’était toute une journée. Dans la salle, il y avait une quarantaine d’hommes, tous producteurs de cinéma et d’animation, âgés de plus quarante ans, et cinq femmes. C’est une juriste qui nous a formé sur le droit : ce qu’est un viol, un attouchement, des paroles déplacées, etc. J’ai appris plein de choses, notamment ce que nous avons le droit de dénoncer, où, comment. Les hommes présents se sont rendu compte qu’eux aussi sont responsables s’il arrive un incident dans la production. Ils sont responsables de tous les hommes, et de tous les agissements qui se passent sur un tournage et dans une équipe. »

« L’association des 38 CDN, a validé dernièrement une Charte de la Parité, rédigée par les 18 directrices, établissant une égalité homme femme dans la répartition des moyens de production, de diffusion, et des jauges, témoigne finalement Jacques Vincey, le directeur du CDN de Tours. C’est une chose concrète. »

 

Entre créations et débats. Ces quelques moments passés au WET°, entre créations et débat, dressent un portrait de groupe avec dames bien singulier. Ils posent la question de l'enseignement du théâtre qui ne parvient pas à émanciper les jeunes femmes de la place qui leur est assignée depuis longtemps. De nombreux exemples prouvent le contraire, fort heureusement, mais il semble que la place est chèrement payée. Ils posent également la question même de la représentation du théâtre dans la société. Plaidoirie ou fiction ? L'exigence de la création est une urgence.

 

WET°, festival de jeune création contemporaine, du 25 au 27 mars à Tours

 

 

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