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« Edelweiss », déflagration théâtrale du fascisme français

par Véronique Giraud
Edelweiss ©JeanLouisFernandez
Edelweiss ©JeanLouisFernandez
Arts vivants Théâtre Publié le 23/09/2023
Sylvain Creuzevault et sa compagnie regardent l’histoire en face. Après Robespierre, le Capital de Marx, et comme pris par l’urgence de la montée de l’extrême droite en Europe, leur théâtre s’empare des idées fascistes qui avaient cours dans les années 30 et 40 en France. "Edelweiss France Fascisme" donne à voir leur incarnation à travers les intellectuels et les politiques qui les revendiquent.

La force de Creuzevault, ou plus exactement de Creuzevault et sa compagnie, c’est de redonner vie à des pans de notre histoire qui ont agité et transformé les esprits. Avec leur dernier opus, Edelweiss (titre d'une marche composée par un allemand nazi), les dialogues entre les intellectuels et politiques collaborateurs, les paysans, les officiers nazis, fusent à un rythme fou, souvent drôle et toujours, comme le définit le metteur en scène, grimaçant. Ces idées, ces écrits, ces discours ont agité la France occupée par les Nazis. Il s’agit d’une courte période pendant laquelle des écrivains et journalistes de renom, des hommes politiques au pouvoir se sont réclamés du fascisme puis ont œuvré en faveur du Führer nazi. Une courte période pendant laquelle étaient encensées la beauté athlétique et la vigueur physique, et moqués les corps bedonnants des Français s’accoudant au bistrot ou passant leurs moments de repos à la pêche. Trop de repos d'ailleurs ! « Il y a cinq ans un véritable fléau d'est abattu sur la France, c'est le Front Populaire » clame Philippe Henriot en préambule. Le travail et l'ordre sont, pour l'extrême droite, seuls capables de mettre fin à la décadence du pays, puis à la honte de la déroute. À la vitesse de l’éclair, et d'un corps à un autres des huit magnifiques comédiennes et comédiens, Edelweiss revient sur les marchandages entre Pierre Laval et un officier nazi pour s’entendre sur la quantité des travailleurs qui iront rejoindre l’Allemagne au titre du STO (Service du travail obligatoire). De préférence les ouvriers, l’industrie française tournant au ralenti alors que les paysans doivent rester pour nourrir la population.

 

Au nom de l'ordre. Alors que l’idée d’une France fasciste divise les historiens, que les épisodes les moins glorieux ont été omis, puis oubliés au profit de ceux de la Résistance, Edelweiss - France Fascisme les rappelle à notre mémoire avec les discours magnifiant l’entente avec l’occupant, les passages pamphlétaires de Céline et de Drieu La Rochelle, et réveille les expressions de la détestation du rouge, du communiste, du bolchevik. Parmi les jeunes intellectuels qui se réclament du fascisme, Lucien Rebatet, écrivain et journaliste à L’action française, et Robert Brasillach, écrivain et critique culturel partisan d’un fascisme français, devenu, de 1941 à 1943, rédacteur en chef de l’hebdo Je suis partout. « J’étais convaincu, écrit Rebatet dans son livre Les décombres (1942), qu’au point où nous nous trouvions (1937-1938) une seule forme de politique eut été capable de nous tirer d’affaire : enrôler 200 000 gaillards, chômeurs, communistes, gamins casse-cou, leur coller un uniforme, des caporaux, des pistolets mitrailleurs, avoir l’appui de quelques officiers, fusiller quelques milliers de juifs. » Difficile de parler de lyrisme, d’exaltation de la jeunesse. Condamner la Révolution Française, mettre à mal l’ancien monde, dire les méfaits des Juifs au pouvoir, Léon Blum en tête, collaborer avec l’Allemagne, dont ils estiment normal qu’elle occupe la France pour mettre de l’ordre dans ses rangs. L’espoir que ce que les puissances démocratiques ont échoué à faire, les puissances fascistes le feront, est une idée que les politiques, Jacques Doriot, Pierre Laval, diffusent et encouragent.

On aimerait que certains dialogues témoignent d'un passé révolu. Or il n'en est rien. Beaucoup d'idées sont en cours, véhiculées à la vitesse d'Internet. Sur la scène de l'Odéon, la déflagration fasciste, très documentée, ponctuée d'images d'archives et d'enregistrements sonores, tire à bout portant sur le public qui, s'il entend ces intellectuels et politiques pour la première fois, n'ignore rien des conséquences liées à leurs idées.

 

Edelweiss, France Fascisme, mise en scène Sylvain Creuzevault, artiste associé à l'Odéon Théâtre de l'Europe. De et avec Juliette Bialek, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel et Antonin Rayon (musicien).

Du 21 septembre au 22 octobre, Les Ateliers Berthier, 1, rue André Suarès, Paris 17e (angle du bd Berthier), Porte de Clichy.

 

 

 

 

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