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Livia Melzi, enquête photographique pour un monument Tupinambà

par Véronique Giraud
L'artiste Livia Melzi  au Centquatre, à l'occasion du festival Circulation(s) 2022. ©RivaudNAJA
L'artiste Livia Melzi au Centquatre, à l'occasion du festival Circulation(s) 2022. ©RivaudNAJA
Portrait post-mortem de Marie Stuart, représentée portant un manteau Tupinambà. ©RivaudNAJA
Portrait post-mortem de Marie Stuart, représentée portant un manteau Tupinambà. ©RivaudNAJA
Arts visuels Photographie Publié le 06/04/2022
En six clichés d’étranges manteaux en plumes et un poème, la Brésilienne Livia Melzi nous embarque dans la forêt amazonienne et les rites de la tribu Tupinambà aujourd’hui décimée. Son travail magnifique est présenté par Circulation(s) au Centquatre-Paris.

C’est en découvrant dans une revue l’image d’une étrange cape en plumes que la native de Sao Paulo, océanographe de formation, fut convaincue qu’elle devait enquêter sur le passé du territoire brésilien, où cette photo l’a guidée. C’était il y a quatre ans et, depuis lors, avec une rigueur toute scientifique, elle tire tous les fils de ce manteau, réalisant une recherche immense qui l’a d’abord menée à l’époque de la colonisation. « J’ai compris rapidement le rôle de la France avec les missionnaires qui ont construit cette image de cannibales, de sauvages. Puis j’ai découvert l’histoire de ces manteaux des Tupinambà à travers des gravures du XVIe siècle ». Sa recherche l’a conduit en Europe, où sont conservés plusieurs spécimen que les colons convoitaient et ramenèrent avec eux à partir du XVIIe siècle. Livia s’est rendue dans chaque lieu, de Copenhague à La Haye, de Belgique en Italie, de Suisse en France, au Quai Branly, pour prendre une photo de chaque manteau. Les uns exposés dans un musée, d’autres à l’abri des regards, dans le sous-sol d’un monastère, dans une bibliothèque, ou encore chez un collectionneur. Il lui reste quatre pièces à photographier. « Ensuite j’ai fait des recherches dans les archives des musées pour voir comment cet artefact a été photographié, et quelles fictions il a inspiré ». Documentant à la fois l’évolution même de la photo d’archive et les erreurs des légendes et commentaires décrivant le manteau.

 

Anthropophagie et modernité. « En 2020, j’ai été contactée par une descendante de la tribu, une activiste qui lutte pour la reprise du territoire Tupinambà confisqué par Bolsonaro, apprend la langue de ce territoire et ses traditions. Elle a découvert mes photos sur Instagram et sur mon site. Je lui ai envoyé des portraits et des photos d’archives, et elle a repris le savoir-faire unique de ce manteau avec son tissage très spécifique ». Composé de plumes aux couleurs fauves, le vêtement cérémonial impose sa splendeur animale. En apprenant que cet artefact était porté à l’occasion des rituels anthropophages de la communauté Tupinambà, le regard change sur ce manteau qui, à lui seul, réveille l’image de pratiques glaçantes, ignorées surtout des Occidentaux. « C’est grâce à cette tribu qu’Oswald de Andrade publie en 1928 Manifeste anthropophage. Tout est lié » conclut Livia. La jeune femme présentera son projet au Palais de Tokyo en octobre prochain. « Je veux parler du manifeste, du centenaire de la modernité. Il y a vraiment un croisement lié à la modernité brésilienne (référence au mouvement moderniste de 1922 à Sao Paolo) ».

 

Une mise en scène étudiée. Pour le présenter aux visiteurs de Circulation(s), Livia a choisi la sobriété muséale, l’obscurité et le silence de six portraits de manteaux avec, leur faisant face, un texte que sa série d’images a inspirée à Edimilson de Almeida Pereira, un des plus grands poètes brésiliens. Planent dans ce petit espace du Centquatre-Paris le sacré, le spirituel, l’essence même de ce qui a maintenu la tribu, l’anthropophagie. Au fond, isolée, une installation complète le propos. « Il s’agit d’un tableau que j’ai trouvé à La Haye dans le musée Maurithuis, à l’origine demeure du gouverneur du Brésil néerlandais, qui possédait la plupart des manteaux dans son cabinet de curiosités. Dans le musée, qui abrite sa collection, se trouve le portrait post-mortem de Marie Stuart. L’aristocrate européenne est représentée portant un manteau Tupinambà ». Ce témoignage inespéré du voyage du manteau jusqu’en Europe, l’artiste l’a photographié avec en fond le soubassement et le papier peint du musée. Juste éclairé par un petit projecteur, il révèle la surprenante composition, mais, subtil geste d’artiste, il est impossible pour le visiteur d’emporter avec lui le souvenir du visage de Marie Stuart, dont tous les traits disparaissent en la photographiant. Reste le magnifique manteau…

 

Circulation(s) 2022, festival de la jeune photographie européenne. Du 2 avril au 29 mai, le Centquatre-Paris.

 

Bio. Livia est arrivée il y a dix ans en France. Après l’école supérieure de la photo d’Arles, elle s’inscrit à Paris VIII. L’étudiante montre à Circulation(s) les prémices de son doctorat qu’elle effectue à Zurich.

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