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Mot de passe oublié ?C’est par une journée portes ouvertes que Robin Renucci a décidé d’ouvrir la prochaine saison de La Criée, Théâtre national de Marseille. Ce sera le samedi 16 septembre avec Bienvenue à bord, une journée libre d’accès pour tous, avec visites des lieux, lectures, musiques, danses, rencontres avec les artistes et même dégustations grâce à la complicité du restaurant du théâtre Les grandes Tables de La Criée et la collaboration su Festival du jeu de l’oie organisé par Aix-Marseille-Université sur le thème « Se nourrir en Méditerranée ». Et puis, alors que non loin de là, au Palais du Pharo, l’European Jazz Conférence organisée par Marseille Jazz des cinq continents battra son plein, La Criée accueillera Michel Portal et ses invités en concert (entrée payante).
Le droit de chacun à son imaginaire Arrivé il y a un an sur le Vieux-Port pour succéder à Macha Makeïeff, le nouveau directeur du théâtre présentait le 12 juin la saison 2023/2024, la première pour laquelle il est pleinement aux manettes et qui s’inscrit comme l’annonçait son projet pour Marseille dans un esprit d’ouverture. L’ouverture elle se manifeste pour commencer par cette exergue qui accueille désormais les visiteurs sur la façade du théâtre : « Pour le droit de chacun.e à son imaginaire pour une vie ensemble uni.e.s et solidaires ». « C’est notre travail de rendre ce droit désirable », souligne Robin Renucci, qui affiche son ambition d’aller à la rencontre des publics, de tous les publics, et qui manifeste son attachement à « l’éducation populaire », à « la solidarité », à « l’émancipation ».
Reliés à la nature Cette ouverture on la retrouve aussi dans le renouvellement de l’identité visuelle des lieux, qui évoque désormais le végétal et, dans le changement de nom des deux salles de théâtre : la grande salle devient la salle Demeter, déesse de la fertilité et de la protection de la Terre, la petite salle est nommée désormais salle Ouranos, la divinité du ciel étoilé. Évidemment, cela évoque les grands enjeux auxquels doivent faire face la planète et l’humanité, le dérèglement climatique, la perte de la biodiversité, la solidarité entre les peuples. Le comédien et metteur en scène déclare ainsi son « attachement à l’endroit où nous sommes sur ce port de Marseille, face à la Méditerranée, grand cimetière que nous savons être aujourd’hui et en même temps, au rapport à cette nature dont nous faisons partie et qui nous fait bien sentir aujourd’hui que nous sommes reliés à elle totalement et qu’il n’est pas possible de ne pas penser à elle ».
A la paix ! avec Aristophane Cette intention manifeste est portée en toute logique par la première création de Robin Renucci à La Criée A la paix !, comédie comique d’Aristophane, adaptée par le comédien et auteur de théâtre marseillais Serge Valletti, qui sera jouée du 8 au 26 novembre. Dans l’œuvre originale Trygée, un Athénien qui est fatigué de la guerre contre Sparte, a élevé un bousier (insecte se nourrissant d’excréments) pour voler jusqu’à Zeus afin de lui demander pourquoi il a laissé les Grecs dans la guerre. La suite est pleine de péripéties. A Marseille le personnage principal s’appelle Yves Rogne, vigneron de son état. Il se demande pourquoi les hommes font la guerre et partira « chercher les réponses auprès des puissances célestes qui veillent sur le Vieux-Port » en empruntant un véhicule spatial carburant la matière organique, carburant vert donc. « Dans le monde en guerre dans lequel nous sommes ça sera bond de parler de la paix. Mais ce doit être un moment sans leçon, très joyeux, très irrévérencieux parce que c’est Aristophane qui parle », commente Robin Renucci qui annonce une grande soirée festive pour la première.
Les artistes complices L’esprit d’ouverture c’est encore la façon dont le directeur s’est entouré d’autrices, d’auteurs, de metteuses et metteurs en scène, de collectifs, pour dérouler cette saison et proposer 16 créations dont 2 montées à La Criée, ainsi que 2 productions et 8 coproductions. Parmi ces « artistes complices » comme il les appelle, Simon Abkarian (Hélène après la chute – 19 au 22 décembre), Louise Vignaud (Nuit d’octobre – 29 novembre), François Cervantes (Nous – 16 au 27 janvier), Léo Cohen-Paperman (Les dîners chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing – 30 janvier au 3 février) et d’autres encore. Mais c’est la romancière, scénariste et metteuse en scène Alice Zeniter qui donnera le premier spectacle de la nouvelle saison avec « Je suis une fille sans histoire » du 26 au 29 septembre. L’autrice de L’art de perdre a écrit cette pièce avec laquelle elle monte pour la première fois sur scène, seule, pour interpréter son propre rôle, celui d’une écrivaine s’adressant à un public de théâtre pour méditer sur ce qu’est une fiction.
Focus sur Alexandre Dumas Le parti pris dans cette programmation est aussi de proposer des « tunnels », des œuvres restant à l’affiche durant deux semaines. Après A la paix !, ce sera le cas de Monte Cristo adapté et mis en scène par Nicolas Bonneau et Fanny Chériaux de la Compagnie La Volige (16 au 30 mars avec une soirée inclusive Relax pour la dernière). Après Les trois mousquetaires adapté de manière contemporaine à la façon d’une série en trois saisons par les jeunes artistes du Collectif 49 701 (saison 1 du 6 au 8 octobre La Citadelle, saison 2 du 8 au 10 mars Friche de la Belle de Mai, saison 3 du 19 au 21 avril Lieux Publics), ce sera la seconde œuvre d’Alexandre Dumas inscrite au programme. La rencontre avec cet auteur sera aussi l’occasion dans le cadre de l'éducation artistique et culturelle de développer avec des enseignants la question de la littérature et de l’adaptation du littéraire à la théâtralité.
La Criée dans les quartiers de Marseille L’ouverture consiste aussi à sortir du théâtre, à aller à la rencontre des publics les plus éloignés. « Nous lèverons l’ancre pour aller dans d’autres lieux de Marseille pour se rapprocher des publics là où ils sont, dans l’idée de relier cette rencontre avec les équipements qui sont autour : les centres sociaux, les maisons de quartier, les collèges, les lycées et les écoles pour que l’on puisse rayonner sur le territoire, avec la gratuité pour de nombreux spectacles », prévient Robin Renucci. Il insiste encore sur les missions de transmission, de formation, d’éducation populaire, d’éducation artistique et culturelle du théâtre national, en annonçant l’organisation mensuelle d’un atelier ouvert au public en présence d’un acteur professionnel, d’un artiste complice, de lui-même. Il annonce des formations croisées à l’intention des enseignants, des acteurs de l’éducation populaire comme les Céméa ou la Ligue de l’enseignement, des acteurs du secteur médico-social et carcéral.
Première au théâtre de Nanni Moretti Et puis, dans cette prochaine saison foisonnante peut-être faut-il aussi signaler une co-production inattendue, celle de Diari d’Amore et de Fragola e Panna, deux comédies de Natalia Ginzburg, mises en scène par Nanni Moretti. Après un demi-siècle de carrière au cinéma, le réalisateur italien fait ses débuts comme metteur en scène au théâtre. A 70 ans, l’italien met en scène cinq comédiennes et comédiens, sur les textes d’une autrice peu connue en France mais qui n’en est pas moins une figure de la littérature italienne. Disparue en 1991 elle a notamment exploré le thème des relation familiales. Ces deux pièces choisies par Nanni Moretti racontent des histoires de petits groupes familiaux disharmonieux (du 15 au 17 décembre).
Trois lieux d’expériences « Les œuvres, la pratique, la pensée sont trois endroits d’expériences auxquels je vous convie. Contempler, pratiquer, croiser nos points de vue : voilà ce qui fait le spectateur et le citoyen. Nous serons peut-être déstabilisés par des sujets ou des œuvres : il faudra pouvoir en débattre », écrit Robin Renucci dans l’éditorial de présentation de la nouvelle saison. Une invitation au partage lancée au public par un homme qui ne cesse de marteler que les Centres Dramatiques doivent « permettre à chaque personne d’aiguiser sa singularité, sa sensibilité et son intelligence », dont le but « dépasse le plaisir du simple divertissement » ; des centres qui sont avant tout des « maisons de service public ».